arrow right

Le Mans 1955 : Motor Racing is dangerous

Si aujourd’hui, la course automobile reste un sport à risque, il est rare d’y voir des tragédies impliquant aussi bien des spectateurs que des pilotes. Surtout, quand les épreuves se déroulent sur circuit. Ce n’était pas le cas dans les années 50 où de nombreux accidents traumatisèrent le public. Ce fut le cas en 1955 durant les 24hrs du Mans.

Une affiche prometteuse

Quand le Comte Maggi, président du comité d’organisation des Mille Miglia, donne ce 11 juin 1955, sous l’oeil de Charles Faroux le directeur de course, le départ de cette 23ème édition des 24 heures du Mans, personne n’imagine que cette course restera dans les annales du sport automobile comme celle du plus grave accident ayant eu lieu lors d’une compétition automobile.

Tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette éoreuve un formidable spectacle. Le beau temps est au rendez-vous tout comme les spectateurs qui sont près de 300 000 à attendre le signal du départ, impatients de voir les 60 pilotes se précipiter dans leurs voitures rangées en épi de l’autre côté de la piste.

Côté sportif, les plus grands pilotes sont présents et toutes les écuries majeures sont là pour en découdre.

Ferrari d’abord, vainqueur en 1954 avec sa 375 Plus conduite par Gonzales/Trintignant. L’écurie italienne présente cette année de nouvelles voitures, les 121LM animées par un nouveau moteur 6 cylindres. Ses trois équipages phares sont  Castellotti/Marzotto, Maglioli/Phil Hill et Trintignant/Schell. La marque peut également compter à un degré moindre sur les deux 750 Monza pilotées par Sparken/Gregory et Dreyfus/Lucas.

Castellotti et sa Ferrari 121LM

Jaguar, après ses succès de 1951 et 1953 aimerait bien faire triompher sa Type D. Pour cela, la marque anglaise compte avant tout sur Mike Hawthorn qui pilotera la n° 6 avec Ivor Bueb comme second pilote mais aussi quatre autres Type D pilotées par des équipages compétitifs comme Claes/Swaters ou Rolt/hamilton.

Mike Hawthorn Jaguar Type D

Mais le grand favori de l’épreuve reste Mercedes. C’est la marque allemande qui domine le championnat et elle espère bien renouveler sa victoire de 1952. Elle aligne trois Mercedes 300 SLR pilotées par l’équipage vedette Moss/Fangio secondé par Kling/Simon et Fitch/Levegh.

Levegh sur Mercedes 300SLR

En dehors de ces favoris, d’autres marques espèrent tirer leur épingle du jeux comme 

Aston- Martin avec sa DB3S ou Porsche avec pas moins de six 550. Elles se savent moins rapides mais connaissent également tous les aléas que les favoris devront affronter avant de franchir la ligne d’arrivée et espèrent elles aussi accèder aux premières places en effectuant une course d’attente et en misant sur leur fiabilité.

Un départ en fanfare

A peine le départ donné, un premier problème vient perturber la mise en route de Fangio. En  sautant dans sa voiture, le manche de son levier de vitesse vient se prendre dans la jambe de son pantalon. Aider par ses mécaniciens, il réussit à partir mais doit, déjà, mener grand train pour rattraper le reste du peloton qui ne l’a pas attendu. 

Fangio scotché au départ à cause d’un levier de vitesse pris dans son pantalon.

Castellotti a pris le meilleur départ. Il mène devant Mike Hawthorn mais doit rapidement laisser passer l’anglais.

 

Hawthorn devant Castellotti dans les premiers tours.

Rapidement, Fangio réussit à revenir en tête et pendant plus de deux heures, on assiste à un véritable grand prix entre les trois leaders des écuries favorites. Fangio et Hawthorn n’ont de cesse de se dépasser à coup de nouveau record du tour et Castellotti suit tant bien que mal la cadence. 

Fangio devançant Hawthorn et Castellotti.

On approche des 2hrs15 de course et les premiers ravitaillements commencent. Cela fait trois tours que l’on signale à la Type D n°6 de s’arrêter mais Hawthorn veut absolument garder la tête de la course et ne souhaite pas ravitailler avant les Mercedes.

L’accident : faute ou aléa de la course ?

Après un dernier tour mené devant Fangio, l’anglais décide de rentrer au stand Jaguar. 

Après avoir doublé la Mercedes de Levegh, à qui il prend un tour, il passe l’Austin Healey 100S de Lance Macklin juste à l’entrée des stands à l’amorce du léger droit qui précède la ligne d’arrivée. Est-ce qu’il arrive trop vite, est-ce qu’il ne s’est pas rendu compte de la proximité de la zone d’arrêt, personne ne le sait, mais il doit freiner brutalement pour espèrer s’arrêter devant son stand. Macklin qui surveillait tout autant son rétroviseur que le devant de sa voiture s’aperçoit qu’il va percuter la Jaguar de son compatriote. Debout sur les freins, il voit l’arrière de la Type D se rapprocher et, pour éviter de la percuter, se déporte au milieu de la chaussée. Lancé à prés de 250km/h, Levegh ne peut éviter l’Austin qui se retrouve subitement sur sa trajectoire. Il accroche l’arrière gauche de la 100S avec l’avant droit de sa voiture et se trouve propulsé à plusieurs mètres du sol avant de venir s’écraser sur les fascines et le talus qui séparent la piste de la zone réservée aux spectateurs. 

L’impact est terrible, la voiture explose et se disloque. Le moteur, le train avant et quelques pièces de la carrosserie dont le capot continuent leurs folles courses à travers la foule de spectateurs massés là. Une deuxième explosion retenti sans doute causée par l’explosion du réservoir d’essence. La carcasse de la voiture gît sur le bord de la piste et continue à brûler.

L’accident

Levegh à été éjecté de sa voiture et se retrouve face contre terre, mort certainement sur le coup. C’est l’horreur dans la foule. Certains spectateurs ont la tête ou les membres sectionnés. 

Le train avant de la Mercedes de Levegh

La plupart des blessés sont allongés sur le sol inconscients, se vidant de leur sang en attendant les secours. Au même moment, les voitures continuent à passer sur la ligne droite des stands, zigzagant dans un premier temps entre les débris de l’accident jonchant le sol. L’Austin de Macklin après avoir été percutée est venue s’écraser contre le talus en fauchant un commissaire. Fort heureusement, son pilote a réussi à s’extraitre de sa voiture sans blessure grave et a pu regagner les stands. Fangio, qui suivait Levegh à une cinquantaine de mètres a vu celui-ci lever le bras pour lui signaler une situation anormale. Mais quoi exactement, personne ne le saura. Fangio freine alors sa SLR et réussit, en plein brouillard à se faufiler entre la voiture de Levegh sur sa gauche et les stands où la voiture de Hawthorn vient de s’arrêter. Il reconnaitra plus tard, que seule la chance lui a permis de s’en sortir et qu’en aucun cas ce sont ses qualités de pilote qui lui ont sauvé la mise.

La carcasse de la 300SLR de Levegh finit de se consumer sur le talus bordant la piste. 

La fin de la course

Pendant que les secours arrivent pour emmener les blessés à l’hôpital ou constater qu’il n’y a plus rien à faire pour d’autres spectateurs, la course continue. Hawthorn reprend le volant de la Jaguar pour un tour avant de le cèder à Bueb. Macklin, interrogé par Donald et Geoffrey Healey reporte la responsabilté de l’accident sur les épaules d’Hawthorn en l’accusant d’avoir freiner trop brusquement à peine après s’être rabattu devant lui l’obligeant à une manoeuvre désespèrée pour l’éviter. Pendant ce temps, Lofty England team manager des voitures anglaises encourage ses pilotes à continuer la course. Hawthorn, apprenant les reproches qui lui sont faites par Macklin semble très affecté. Macklin, beaucoup plus tard, aurait confier au journaliste Albert Kahn que le pilote de la Type D serait venu s’excuser se considérant responsable de l’accident, avançant même sa volonté de ne plus conduire. Vrai ou faux, personne ne peut aujourd’hui le confirmer mais Lofty England trouve les mots qu’il faut pour que Mike reprenne le volant de la Jaguar et finisse ces 24heures.

Vers deux heures du matin, Alfred Neubauer, team manager de l’équipe Mercedes, après avoir converser avec les dirigeants de la marque restés en Allemagne , décide de retirer ses voitures de la course. A ce moment là, l’équipage Moss/Fangio possède deux tours d’avance sur la Type D.

La fin de l’épreuve se déroule dans une ambiance morose, chacun ne pouvant oublier le terrible drame de la veille.

Hawthorn/Bueb l’emportent devant l’Aston-Martin DB3S de Collins/Frère et une autre Type D des belges Claes/Swaters. Jaguar, Aston-Martin, Porsche, Bristol et DB Panhard remportent une victoire de classe et Porsche, grace à sa 550 gagne aussi l’indice de performance et place trois voitures aux 4, 5 et 6ème place.

Mike Hawthorn améliore le record du tour détenu par Gonzales en 4’6’’6 à 196,96km/h

Epilogue

La presse et les médias firent les gros titres sur cet accident qui coûta la vie à plus de 80 personnes et qui reste à ce jour l’accident le plus grave ayant eu lieu dans le sport automobile.

La justice bien entendu s’empara du dossier est chercha dès le lendemain à trouver le ou les coupables. Tous les pilotes impliqués de près ou de loin furent entendus tout comme Charles Faroux à qui on reprocha de ne pas avoir arrêté la course. Pour se défendre, celui-ci répondit deux choses : 1) Il eût été trop risqué de l’interrompre au moment de l’accident avec le risque de voir les 300000 spectateurs se jeter sur les routes des alentours et entraver ainsi la bonne circulation des ambulances venant porter secours aux blessés. 2) Plus laconiquement et simplement, il dit que c’était la loi de la course et qu’il n’y avait pas lieu de l’interrompre dès l’instant où les voitures pouvaient continuer à passer.

Le premier pilote incriminé fut Mike Hawthorn. Sa manoeuvre obligeant Macklin à freiner brusquement et à se déporter fut jugée limite mais pas condamnable. L’autre pilote montré du doigt fut Pierre Levegh. On le juga coupable de ne pas avoir su éviter l’Austin en se déportant plus à gauche de la piste. Puis on s’attaqua à son âge en décrètant qu’à près de 50 ans il n’avait plus les réflexes et la capacté de conduire une voiture aussi puissante que la 300SLR. Un incident qui s’était passé durant les essais ayant laisser croire qu’il trouvait son auto trop rapide par rapport aux autres voitures de moindre cylindrées ce que certains s’étaient empressés de traduire après coup comme étant de la peur et un manque de confiance en ses propres capacités. Heureusement, plusieurs pilotes dont Fangio vinrent défendre son honneur et sa mémoire en assurant qu’il n’était en rien responsable de ce drame et qu’ils auraient subit le même sort que lui dans de telles circonstances. D’ailleurs, quand on compara les temps de Levegh au tour, aussi bien aux essais qu’en course, on se rendit compte que, certes il tournait environ 15/16 secondes moins vite que Moss ou Fangio mais qu’il était plus rapide que Fitch ou Kling ses coéquipiers et partenaires.

Sa responsabilité fut définitivement levée quand, beaucoup plus tard, un film réapparu. On y voyait le déroulement de l’accident, image par image, montrant que la collision entre sa Mercedes et la 100S était inéluctable et qu’il ne pouvait en aucun cas l’éviter.

Au final, l’enquête concluera à un fait de course sans dégager la responsabilité directe de quiconque. La différence de vitesse entre les véhicules présents sur la piste, 250/260km/h pour les Mercedes contre 180/190kmh pour l’Healey, la largeur de la piste à cet endroit, à peine plus de 9 mètres, furent jugés aussi comme des éléments ayant pu expliquer un tel accident.

On parla aussi d’un problème de conformité de l’essence utilisée par Mercedes. La voiture de Levegh mise sous séquestre par la justice fut examinée. L’essence restant dans le réservoir et dans les tuyaux l’alimentant ne montrèrent aucune anomalie. C’est vrai que le départ précipité de l’équipe allemande une fois son retrait acté au milieu de la nuit ne plaida pas en sa faveur. Les rancoeurs à l’encontre des allemands, 10 ans après la fin de la guerre, ne contribua non plus à une grande sérénité dans le déroulement de l’enquête.

l’ACO tira des enseignements du drame en aménageant de façon conséquente les stands et la piste bordant ceux-ci. Depuis 1923, le circuit avait peu changé et il était temps de l’adapter à des voitures beaucoup plus puissantes et rapides que celles vues sur la piste depuis la première édition.

Sans doute qu’aujourd’hui un tel accident ne pourrait plus arriver. Les mesures de sécurités actuelles, les infracstructures, les nouvelles technologies qui équipent les voitures sont autant de garde fous devant nous garantir qu’un tel drame ne puisse se renouveler.

Fangio ne participa plus à l’épreuve mancelle la trouvant trop dangereuse.  Moss ne gagna jamais les 24hrs du Mans, épreuve qu’il n’appréciait d’ailleurs guère.

Plusieurs livres ont été écrits au sujet de cette tragédie. Notamment celui de Christopher Hilton « Le Mans 11 juin 1955 La tragédie ». Un film d’animation de Quentin Baillieux sorti en 2019, évoque le drame de ces 24hrs du mans 1955. Il mérite d’être regardé tant pour son aspect artistique que pour la retranscription des faits.

 

Photo en couverture du Miroir-Sprint du 13 juin 1955

Crédit Photos : Miroir-Sprint du 13 juin 1955 , Paris Match du 25/06-2/07 1955, Wikipédia.

quote

Articles

arrow right