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La course Pékin – Paris, 1907

Partie I : Où il est question ce jour-là de se lancer dans un défi un peu fou…


Il faut bien imaginer qu’en ce tout début du XXème siècle, l’Automobile est en pleine expansion, cette nouvelle machine de transport fédérant tous les intérêts, mécaniques, économiques, sportifs, parfois même philosophiques ou politiques, révélant les talents et l’ingéniosité des esprits novateurs, propre à déchainer toutes les passions. Puisqu’il s’agit de se déplacer avec une certaine vitesse, on commence à imaginer des épreuves destinées à tester la résistance des matériaux et l’assemblage des machines, ainsi que la dextérité des hommes à piloter ces engins de la nouvelle modernité. L’Automobile, en tout cas sa conduite, devient vite un challenge sportif. Sont très vite élaborées des épreuves et des tentatives de record, non seulement sur des circuits fermés mais aussi sur routes ouvertes, afin d’assurer la publicité des nombreuses marques qui se lancent le défi d’arriver avant les autres. On traverse alors l’Europe avec plus ou moins de bonheur, de sang et de sueur, soulevant dans la fureur et le vacarme la poussière des routes de l’Hexagone à destination du Nord ou du Sud tandis que l’on commence très vite à imaginer des traversées de territoires ô combien plus exaltants, des déserts arides ou des massifs montagneux réputés infranchissables, des fleuves meurtriers ou d’étouffants défilés... Le Tour de France, 2640 km gagné avec une moyenne de 56 km/h, est déjà une institution, et rien ne semble vouloir arrêter ces aventuriers d’un nouveau genre, prêts à partir à l’assaut de toutes les difficultés que l’Univers va pouvoir mettre sur leur chemin. D’autant plus que l’industrie mécanique française est au premier rang en Europe. Et on conjugue aussi bien les succès et records sur terre que dans les airs avec les frères Wright, et le français Louis Blériot qui s’essaie à la traversée de la Manche avec de tout nouveaux appareils volants. Le vent de l’aventure souffle sur cette partie de l’Europe et les romans de Jules Verne, écrivain contemporain, leurs défis sur terre, dans les airs ou sous les océans, servent d’exemples aux aventuriers prêts à en découdre. Aussi, on ne s’étonnera pas qu’en ce 31 Janvier 1907, la capitale se réveille avec à la Une du journal Le Matin, un gros titre qui fait immédiatement sensation :

PARIS – PEKIN AUTOMOBILE / Un prodigieux défi

« Ce qu’il faut démontrer aujourd’hui, c’est qu’avec l’automobile, on peut tout faire et aller partout » va être la phrase clé de cet étonnant challenge lancé aux constructeurs, les interrogeant sur leur possible capacité à rejoindre rien de moins que Pékin en automobile, soit 16000 km, flanqués d’un envoyé spécial du journal qui relatera au jour le jour aux lecteurs haletants, la moindre des péripéties de cet étonnant convoi. Le premier à répondre présent à l’appel du journal, quasiment immédiatement, fut le marquis De Dion Bouton, président de la société éponyme, entrevoyant immédiatement en homme d’affaires averti, le gain publicitaire qu’une victoire pourrait fournir à sa production automobile.

Très rapidement, il est suivi par Auguste Pons, pilote, qui se propose de s’engager sur une 3 roues, une espèce de triporteur équipé d’un moteur 6 CV, un Mototri Contal.

Le journal enregistre ainsi très rapidement dix inscriptions en une semaine et crée dans la foulée un comité regroupant des membres ayant l’expérience de la Chine et du Moyen-Orient, sous la présidence d’un ancien ministre de France à Pékin réputé pour son excellente connaissance de la région.

Car il va s’agir de prendre en compte dans cette aventure des éléments aussi variés que la géographie des espaces traversés par les concurrents comme de terribles défilés montagneux, des déserts arides et des pistes mal fréquentées, mais aussi les composantes météorologiques, avec des variations saisonnières inévitables compte tenu de la distance parcourue impliquant la traversée de contrées aux climats bien éloignés de la tempérance hexagonale, et surtout d’évaluer précisément les difficultés pouvant mettre en danger l’intégrité des machines et des pilotes. Sans oublier les aspects politiques d’une épreuve sportive devant se rendre sur des régions aux mœurs différentes et aux situations administratives parfois instables, comme la Russie en pleine effervescence où commencent à se multiplier les attentats et les mutineries dans les garnisons depuis la défaite en Mandchourie, ou une Sibérie où trainent des prisonniers politiques évadés prêts à en découdre sérieusement avec qui croiserait leur route.


On va vite décider d’inverser le trajet pour des raisons de logistique, pour partir de Pékin en envoyant les voitures par la mer et réservant ainsi les épisodes de traversée les plus rudes au départ du périple : on connaît bien ces étroits défilés qui séparent Pékin de la Mongolie que vont devoir emprunter les voitures, sans aucun doute la partie la plus meurtrière du trajet. En Sibérie, les voitures devront emprunter des routes de terre, certes plus faciles d’accès mais très mal entretenues, négligées depuis la création du Transsibérien reliant Moscou à Vladivostok sur 9000 km, imaginé dès la fin du XIXème siècle par les tsars en place, et destiné à relier les points les plus éloignés de l’empire, et qui sera effectivement achevé en 1916. Les conditions atmosphériques sont particulièrement difficiles cette année-là avec en Chine des pluies qui vont s’annoncer très tôt dans la saison pour choisir de débuter le jour même du départ de la course, transformant en cloaque de boue les voies que doivent emprunter les automobiles. Et il faut savoir que, pour couronner le tout, les voitures en lice n’ont pas de pare-brise et les capotes ont été supprimées dans le but d’alléger au maximum les véhicules. Et dans ces conditions épiques, les voitures se déplaceront à la vitesse maximum de 8 km/h.
Malgré toutes ces difficultés prévisibles, les inscriptions se multiplient rapidement avec celle du baron Duquesne qui a à son actif des milliers de kilomètres parcourus dans le Sahara, qui va troquer une Panhard 3 CV initialement prévue pour une 8 CV dont la puissance est jugée plus adaptée à la concurrence qui s’annonce. Le Prince Scipion Borghese, brillant aristocrate italien, s’inscrit avec une Itala, voiture fabriquée à Turin. Le Prince se commande pour l’occasion une voiture de tourisme modifiée sur ses indications afin de rendre le défi plus aisé : un châssis en acier renforcé, des roues plus hautes et plus solides, comportant deux sièges à l’avant occupés par le Prince et son fidèle mécanicien, Ettore Guizzardi qui dort sous la voiture dont il a vérifié chaque boulon, et un siège à l’arrière, des réservoirs d’essence d’une capacité de 150 litres environ chacun, un réservoir d’huile et un réservoir d’eau, une grande caisse à outils contenant les pièces de rechange. Les pneumatiques équipant les roues en bois sont des pneus Pirelli qui s’avèreront solides et performants, protégés par de grands garde-boues, faciles à démonter. La voiture sera fabriquée et livrée en deux mois.

Agé de 36 ans au moment du challenge, Borghese avait commencé sa carrière dans la diplomatie, vite abandonnée pour devenir ce qu’il nomme lui-même « un explorateur scientifique ». Alpiniste de renom aux multiples exploits, « automobiliste », il a déjà traversé l’Asie du Golfe Persique au Pacifique voyageant à cheval, à dos de chameau, en caravane ou même à pied.

Il bénéficie d’un avantage certain sur les autres concurrents disposant d’un grand réseau de relations et de nombreux contacts diplomatiques. Il se distingue par des dons d’organisateur, affublé de nerfs d’acier qui l’autorisent visiblement à toutes les audaces et d’une prudence minutieuse accompagnée d’une réserve toute aristocratique. Et à ce titre, on avait affublé l’Italien d’un surnom traduisant le mépris qu’il inspirait sans doute à l’aristocratie : « l’officier anglais ». Le comte Gropello s’annonce lui aussi comme participant, déjà propriétaire d’une écurie de compétition Fiat, passant commande d’une voiture spéciale.

C’est ainsi que le 11 Février 1907, plus de 30 industriels et pilotes professionnels, se réunissent dans les locaux du journal Le Matin. Borghese pour l’occasion se fait représenter par Fournier, président de L’Automobile Club de France, entre autre triomphateur de la course Paris-Bordeaux. Le raid dispose très rapidement d’une publicité importante relayée par les fabricants d’automobiles et les compagnies pétrolières qui espèrent bien bénéficier des retombées médiatiques en ouvrant l’Asie à l’Automobile où elle est jusqu’alors peureprésentée. On décide de la date de départ des voitures pour la Chine, le 14 Avril 1907, tandis que les pilotes prendront la voie de terre pour accueillir à destination les voitures début Juin. Outre les pilotes précédemment cités, sont inscrits Georges Cormier, au volant d’une De Dion 10 CV.


Représentant déjà la marque aux épreuves d’endurance Europe – Afrique, c’est un habitué des voitures légères et des trajets longue distance en Espagne et en Hongrie, aussitôt désigné par l’organisation et en raison de son expérience « expert des relais de carburants ». Puis Victor Collignon, autre pilote De Dion ayant fait ses preuves, au volant d’une 15 CV ; Auguste Pons donc et son 3 roues Mototri Contal, Charles Godard, personnage haut en couleurs, bout en train un rien vantard, aventurier en diable, ignorant tout du monde de l’automobile et de son fonctionnement, railleur, un tantinet taquin, un profil de loup aux dents longues et prêt à se lancer dans toute aventure liant adrénaline et espèces sonnantes et trébuchantes. La rumeur dit bien qu’il a fait quelques mois de prison pour escroquerie, détail qui vient compléter le portrait du bonhomme, parisien gouailleur à qui on confie sur sa bonne mine une lourde 40 CV Metallurgique, d’un fabricant belge qui décide d’engager par ailleurs deux autres automobiles une 30 et une 40 CV, avant de lâcher l’affaire au grand dam du pilote. Celui-ci, loin de baisser les bras, se rend à Paris pour rencontrer un représentant de la marque Spyker avant de rejoindre Amsterdam et la maison-mère dans un élan tenace qui le caractérise et le servira avantageusement. Ces automobiles sont mal implantées en France mais bénéficient en revanche d’un véritable engouement en Angleterre où elles constituent le gros du parc des taxis londoniens. Un des frères Spyker, tandis que l’autre se noie au retour d’une course de côte en Angleterre, accepte la demande du jeune homme après bien des péripéties. Et les essais de la voiture dans les dunes de la Mer du Nord purent alors commencer. Pour l’aspect financier, la prime d’engagement est de 2000 francs associée à des prévisions de dépenses à hauteur de 100 000 francs pour chaque voiture, ce qui à l’époque représente un budget considérable. Aussi sur les 25 voitures inscrites, seules 5 se présentent finalement au départ : Pons et le tricycle Contal, deux De Dion Bouton pilotées respectivement par Cormier et Collignon, la Spyker pilotée par Charles Godard et l’Itala du talentueux Prince Borghese. Ainsi que deux journalistes, du Taillis pour la France et un italien, Longoni.


C’est au petit matin du 10 Juin 1907, deux mois à peine après l’annonce de cet incroyable défi, que la colonne de voitures prend le départ, au milieu de la liesse des témoins présents dans la cité chinoise, accompagnée d’une musique militaire engageante, sous les yeux des pékinois médusés, sommés par les autorités de patienter respectueusement au passage des voitures, leur laissant la voie libre pour sortir de la ville et commencer un périple qui va réserver bien des surprises et beaucoup de frayeurs.

To be continued.

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