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Les Japonaises au Mans : un long fleuve pas tranquille.

Si Toyota a fait briller les couleurs japonaises, une nouvelle fois, lors des dernières 24hrs du Mans, les marques nipponnes auront mis du temps avant de figurer au premier plan de l’épreuve mancelle. Retour sur un long parcours initié il y a plus de 50 ans.

Une entrée par la petite porte.

Si à la fin des années 60, les constructeurs japonais sont pointés à la 3ème place mondiale en nombre de véhicules produits, ils ne se sont guère intéressés à la compétition automobile. Certes, Honda a bien essayé de percer en formule 1, mais sans insister.
C’est pire en endurance puisque aucune marque nippone n’a jusqu’alors participé à une manche du championnat du monde, la lutte pour la victoire se résumant à un match Europe/Etats-Unis.
C’est par la petite porte et de manière incognito que l’on va voir pour la première fois le nom d’un constructeur du pays du soleil levant associé à une participation aux 24hrs du Mans.
C’est en 1970, qu’une écurie belge équipe une Chevron B16 d’un moteur rotatif 2l d’origine Mazda et s’inscrit au départ de la course mancelle.
L’équipe sponsorisée par le fabricant de jeans Levi’s n’en est pas à sa première expérience avec ce type de moteur puisque 1 an plus tôt lors des 24hrs de Spa, elle a fait courir des coupés Mazda R100 en obtenant de bons résultats, deux des autos engagées terminant aux 5ème et 6ème place au général. L’année suivante, toujours à Spa mais pour les 1000km, c’est sur une Chevron B16 que le moteur Mazda de 2l est monté. La voiture termine 15ème ce qui ne décourage pas l’équipe belge qui décide de s’engager aux 24hrs du Mans.
Cette première expérience tourne rapidement court puisqu’après avoir signé le 45ème temps aux essais à plus de 183km/h de moyenne, l’équipage Desprez/Vernaeve abandonne au bout de 4 heures sur un problème moteur.

Chevron B16 à moteur Mazda Le Mans 1970


Chevron B16 à moteur Mazda Le Mans 1970

Les années SIGMA

Si aucune japonaise ne prend le départ des 24hrs les deux années suivantes, une Datsun 240Z a bien essayé de se qualifier aux essais en 72 mais sans résultat, ce n’est pas le cas en 1973 où on voit apparaître la Sigma MC73. Cette nouvelle voiture est encore motorisée par un bi-rotor Mazda de 2,3l. La carrosserie reprend les grandes lignes des barquettes de l’époque.
Fondée par Shin Kato c’est ainsi la première écurie japonaise à participer aux 24hrs du Mans. Pilotée par les Japonais Ikuzawa et Fushida, associés au français Patrick Dal Bo, la Sigma réalise le 14ème temps des essais à 195,4 km/h de moyenne. Malheureusement, des problèmes mécaniques l’obligent à abandonner au milieu de la nuit.

Sigma MC73 Le Mans 1973


Sigma MC73 Le Mans 1973

On retrouve à nouveau une Sigma pour l’édition 74. Baptisée MC74 elle est toujours équipée d’un moteur Mazda bi-rotor plus puissant qu’en 73, mais a aussi changé de look. La carrosserie présente des formes plus douces et la livrée, rouge et blanche est radicalement différente. Cette fois ci, l’équipage sera composé de trois pilotes japonais, grande première aux 24hrs.
C’est à une honorable 27ème place que la voiture se qualifie. Pour autant, elle est moins rapide que la MC73 ce qui n’incite pas l’équipe à l’optimisme.
La course va être une véritable épopée pour la Sigma. A peine le départ donné, la voiture va être victime d’une multitude de pépins qui l’obligent à passer plusieurs heures dans les stands. La pompe à eau et l’embrayage sont changés, le moteur déposé pour refaire la segmentation et c’est avec une distance parcourue trop faible pour être classée qu’elle franchit la ligne d’arrivée. L’histoire retiendra quand même que c’est la première fois qu’une voiture 100% japonaise termine les 24hrs.

Sigma MC74 Le Mans 1974


Sigma MC74 Le Mans 1974

Pour les 24hrs 1975, une Sigma est de nouveau présente, la MC75. Grosse nouveauté, elle n’est plus motorisée par le bi rotor Mazda qui laisse sa place à un 4 cylindres Toyota turbocompressé. La puissance dépasse maintenant les 300cv. La livrée rouge et blanche de l’auto n’est pas liée au drapeau japonais mais à son nouveau sponsor le cigarettier Marlboro.
Derrière le volant on retrouve les Japonais Fushida et Takahashi. Le temps réalisé aux essais est décevant puisqu’il est encore inférieur à celui de 74. C’est une fuite d’huile qui poussera la Sigma à l’abandon en début de soirée. Mais pour cette édition 75, ce n’est pas la seule voiture à défendre les couleurs nippones puisque l’on retrouve 3 Mazda RX3 et une Datsun 240Z en séance de qualification. Seule une Mazda et la Datsun prendront le départ. Cette dernière pourra s’enorgueillir d’être la première voiture japonaise à être classée aux 24hrs du Mans puisqu’elle termine 26ème.

Sigma MC 75 Le Mans 1975


Sigma MC 75 Le Mans 1975

Faute de résultats satisfaisants, on ne verra plus de Sigma sur la piste mancelle. 
En 76, seule une Datsun 240Z défend l’honneur des Japonais. Malheureusement, ces 24hrs se terminent tragiquement pour la Datsun puisque André Haller, alors à son volant, est victime d’un grave accident dans la ligne droite des Hunaudières. La voiture prend feu après avoir percuté les glissières. Son pilote ne survit pas au crash. 

Datsun 240Z Le Mans 1976


Datsun 240Z Le Mans 1976

Dome prend le relais

C’est en 1979 que l’on retrouve une écurie japonaise au départ. Dome, marque spécialisée dans les modèles réduits, présente 2 voitures qui se qualifient en 15ème et 18ème position. Motorisées par un V8 Cosworth elles possèdent une carrosserie très longue et étroite avec un porte-à-faux arrière particulièrement important. Contrairement à Sigma, l’équipe chargée de la mise au point tout comme les pilotes sont britanniques. La course sera rapidement interrompue pour les deux Dome Zero RL puisqu’elles doivent se retirer pour la première vers 17hrs suite à un problème de joint de culasse et la seconde 2 heures plus tard, un souci d’alimentation insoluble mettant fin aux rêves du dernier équipage en course.
Pour une première au Mans, l’expérience n’est pas très concluante mais cela ne va pas décourager l’écurie japonaise.

Dome Zero RL 1979


Dome Zero RL 1979

En 80, ce sont à nouveaux deux Dome qui se présentent aux essais. Une évolution de la Zero RL, la RL80 et une 2ème voiture qui n’est autre qu’un coupé Célica ayant bénéficié d’un travail de fond caractéristique du Groupe 5. C’est un 4 cylindres qui propulse la Dome-Toyota 
Suralimentée par deux turbos KKK. Cette dernière auto ne franchit pas le cap des essais contrairement à une autre japonaise, une Mazda RX7 engagée à titre privé par un Suisse-américain Pierre Honegger qui bénéficie pour l’occasion d’un coup de pouce des organisateurs qui juge son moteur rotatif digne d’intérêt et lui autorise donc à prendre le départ. En course, la Dome RL80 ne fera guère mieux que l’année précédente. Elle n’abandonnera pas mais passera plusieurs heures dans les stands pour réparer, entre autres, son arbre de transmission avant de terminer dernière voiture classée à la 25ème place. La RX7, pourtant beaucoup moins performante, finit 21ème après une course régulière sans problème majeur. Avec cette performance, Mazda rentre dans l’histoire des 24hrs puisque c’est la première fois qu’une voiture à moteur rotatif se retrouve au classement de l’épreuve mancelle.

Dome RL80 Le Mans 1980


Dome RL80 Le Mans 1980

Mazda RX7 Le Mans 1980


Mazda RX7 Le Mans 1980

La montée en puissance de Mazda

Même si Dome persiste et signe en étant présent au Mans tout au long des années 80, le fait majeur vient qu’à compter de 1981, Mazda va participer de façon semi officielle ou officielle à toutes les éditions des 24hrs qui suivent.
En 81, Dome aligne une RL80 toujours motorisée par le V8 Cosworth DFV de 3L. Mais comme les années précédentes, la voiture est victime de problème moteur. Elle abandonne peu après 5hrs du matin.
Les deux Mazda RX7 engagées vont connaitre le même sort. La première s’arrête rapidement sur un problème de pont arrière, l’autre dans la nuit, victime d’une casse moteur.
Pour l’édition suivante, Dome est toujours présent mais doit à nouveau se retirer alors que la Mazda RX 7 254 de l’écurie Mazdaspeed termine à une plus qu’honorable 14ème place. Même si sa sœur jumelle a dû abandonner, ce résultat est plus qu’encourageant.

Mazda RX7 254 Le Mans 1982


Mazda RX7 254 Le Mans 1982

En 83, Dome voit sa RC82 se retirer dans la soirée suite à des problèmes d’embrayage. En revanche, les deux Mazda 717C bi rotor vont faire beaucoup mieux puisqu’elles terminent respectivement 12ème et 18ème. Performance remarquable pour une voiture d’un peu plus de 300cv confrontée à des concurrents bien mieux armés.

Mazda 717C Le Mans 1983


Mazda 717C Le Mans 1983

Mazda poursuit son apprentissage les années suivantes sans réussir à améliorer ses résultats, tout comme Dome qui se risque encore en 84 mais doit à nouveau abandonner.
Nouveauté en 85 avec l ‘apparition de la Dome Toyota. En réalité, la marque japonaise a décidé de supporter financièrement Dome et les voitures engagées sont bel et bien des Toyota baptisée 85C. Munies d’un 4 cylindres turbo de 2,1l, la n°36 termine 12ème, la n°38 abandonnant dans la nuit.

Toyota 85C Le Mans 1985


Toyota 85C Le Mans 1985

En 86, les Toyota 86C ne brillent pas. Si la 38 voit bien le drapeau à damier, elle n’est pas classée pour distance insuffisante. Idem du côté de Mazda ou les deux 757 ne terminent pas. La surprise vient d’un troisième larron puisque Nissan a engagé deux R85V. La n°32 avec son 8 cylindres de 3l finit à la 16ème place.

Nissan R85V Le Mans 1986


Nissan R85V Le Mans 1986

Mazda réussit en 1987 l’exploit de rentrer dans le top 10 avec sa 757.
C’est bien là la seule consolation pour les marques japonaises puisque toutes les autres voitures inscrites ne voient pas la ligne d’arrivée, Nissan et Toyota en premier.

Mazda 757 Le Mans 1987


Mazda 757 Le Mans 1987

88 est un meilleur cru pour les Japonaises puisqu’elles réalisent un remarquable tir groupé avec 6 voitures entre la 12ème et la 24ème place, la Toyota 88C du trio Hoshino/Lees/Sekiya étant la mieux classée.

Mazda relève la tête en 89. Deux 767B finissent dans le top 10 aux 7ème et 9ème place, une troisième voiture terminant 12ème. Pour le reste des constructeurs nippons, c’est la douche froide puisqu’aucune Nissan et Toyota ne terminent la course.

Mazda 76B Le Mans 1989


Mazda 76B Le Mans 1989

L’édition 1990 voit pour la première fois les Japonais se rapprocher du podium puisque Nissan termine 5ème avec sa R90CP et Toyota 6ème avec une 90CV. Cette fois ci, les deux voitures sont équipées d’un V8 et peuvent revendiquer des performances équivalentes à la concurrence ce qui devrait leur permettre de viser le podium les années suivantes. 
Mazda et en retrait puisque la meilleure des 767B alignées termine seulement à une 20ème place décevante.

La règlementation ayant changé, Nissan et Toyota renoncent pour les 24 hrs du Mans 1991. Mazda sera le seul constructeur à défendre les couleurs du pays du soleil-levant. Ses 787B sont restées fidèles au moteur rotatif avec une cylindrée de 4708cc. La concurrence devrait venir des Sauber-Mercedes C11, Jaguar XJR12, Porsche 962C et à un degré moindre de la nouvelle Peugeot 905 que l’on croit performante mais dont on ne sait pas si elle pourra supporter une course de 24hrs compte tenu de sa jeunesse.
C’est la C11 de Schlesser qui réalise le meilleur temps des essais, plus de 10 secondes devant la première des Mazda.
La ligne de départ, à la demande de la FIA, est réservée en priorité aux voitures de la catégorie Sport 3,5. C’est ainsi que les 905 se retrouvent en première ligne et dominent le début de course.
Mais rapidement et comme le constructeur s’y attendait, elles sont victimes de divers problèmes qui les obligent à lever le pied. Les Sauber prennent le relais et occupent les premières places avant que tour à tour elles soient obligées de passer par les stands pour solutionner quelques soucis. Cependant, la C11 n°1 est épargnée et se dirige vers la victoire, quand, à 3 heures de l’arrivée, elle commence, elle aussi, à souffrir de problèmes moteur et doit abandonner. La Mazda 787B de Weidler/Herbert/Gachot se retrouve en tête, elle qui luttait depuis plusieurs heures avec la Jaguar XJR 12 de Jones/Ferté/Boesel pour la deuxième place.
La fin de course est tendue mais Herbert ne flanche pas et passe le premier sous le drapeau à damier. Une deuxième 787B termine à une très belle 6ème place derrière 3 Jaguar et une Mercedes, à 7 tours de la 787B grande gagnante de cette édition des 24hrs du Mans.
C’est la consécration pour Mazda qui devient le premier constructeur japonais à remporter l’épreuve mancelle.
Il était temps pour Mazda et ses moteurs rotatifs puisque l’année suivante, ils seront interdits par le règlement.

Mazda 787B Le Mans 1991


Mazda 787B Le Mans 1991

Cette victoire de Mazda aura un retentissement phénoménal au Japon, tous les journaux faisant leurs gros titres sur sa victoire aux 24hrs du Mans. 

Ce n’est que 27 ans plus tard que Toyota réussira, avec sa TS 050 Hybrid, à faire gagner à nouveau un constructeur japonais aux 24 Hrs.
La récompense fut aussi belle que la route fut longue.

Credit photos. Archives Mazda, Pinterest.


 

 

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